Les grandes théories de la conspiration actuellement en vogue auprès de la droite radicale ont pour point commun de faire la part belle à Donald Trump, et d’être apparues, comme par magie, durant la campagne qui l’opposait à Hillary Clinton.
Comme le faisaient valoir les deux protagonistes ayant participé à une émission spéciale d’André Pitre (ex-membre de La Meute) sur la pédophilie : de nos jours, pour discréditer un.e candidat.e politique, il ne suffit plus de parler d’adultère, il faut aller plus loin en l’associant à des actes vraiment ignobles.
Les deux larrons ne se rendront pas compte qu’ils mettent eux-mêmes en application cette devise, en associant Hillary Clinton – puis les progressistes en général – à la déchéance morale, à la pédophilie, à des messes sataniques et même au cannibalisme…
Je propose une brève présentation du phénomène « Qanon », du « #Pizzagate », puis de l’émission spéciale de Stu Pitt, présentée la semaine dernière.
« We are Q »
Un mystérieux informateur du nom de « Q » s’est manifesté sur le forum anonyme 4chan, le 28 octobre 2017. Depuis cette date, il continue à divulguer de petites révélations sibyllines sur le forum 8chan. Des centaines de milliers de gens le suivent donc sur le web, en essayant de décrypter les informations soi-disant sensibles qu’il souhaite transmettre.
De nombreux fans de Donald Trump lui vouent un véritable culte, car Q aurait la prétention de livrer toute la vérité sur un sombre complot pédophile mondial impliquant toutes nos élites, dont Hillary Clinton, Barack Obama, George Soros, des influenceurs d’Hollywood, etc.

La lettre « Q » réfère à une habilitation de sécurité « Q », l’une des plus élevées aux États-Unis. Un haut responsable de l’administration Trump opérerait ainsi de petites fuites d’information, de manière anonyme. Après les vastes complots « Illuminati », on pense tout comprendre des mécanismes invisibles mettant le monde en œuvre en se nourrissant religieusement des « miettes de pain » disséminées par Q.
Certains vont jusqu’à croire que la personne derrière Q serait John F. Kennedy Jr. (1960-1999), qui aurait feint sa propre mort… Mais il y a plutôt lieu de croire qu’il s’agit de n’importe quel faussaire pro-Trump.

D’autres fanatiques vont jusqu’à poser des gestes de désespoir afin de pousser les autorités à révéler tous les détails de ce pseudo sombre complot. Le 25 juin dernier, un homme a notamment bloqué un pont pendant 90 minutes, au Nevada, à bord d’un gros truck contenant un fusil d’assaut AR-15 et un pistolet :
Cette théorie conspirationniste s’inscrit dans le droit fil de l’histoire du #Pizzagate et a pour but spécifique de laisser croire que Donald Trump serait un authentique libertador en train de se servir de l’« enquête russe » pour se rapprocher du procureur spécial Robert Mueller avec lequel il démantèlera un immense réseau pédophile mondial (?!?).
Autrement dit, si Trump est présentement dans l’eau chaude et perd plusieurs collaborateurs dans la foulée de l’« enquête russe », ses fans préfèrent croire qu’il est en parfait contrôle de la situation et même qu’il mène une campagne héroïque pour assainir les mœurs de Washington.
Maître ès moralité? On oublie peut-être que Trump fut lui-même accusé de toutes parts d’être un multi agresseur sexuel, en plus d’être soupçonné de violence conjugale :
Enfin, pour rendre la chose plus intéressante, les disciples de Q considère que ce dernier nous dévoilerait les arcanes du « Deep State », c’est-à-dire les faits et gestes des éminences grises tirant les ficelles du pouvoir. Le Deep State serait composé d’un côté des « Whites hats », qui s’avèrent les « patriotes » pro-Trump (p.ex. Q lui-même), et des « Black hats », qui seraient les méchants mondialistes comme George Soros…
Tout sur le #Pizzagate (c’est-à-dire rien, du vent)
Les théories du complot à propos de soi-disant réseaux pédophiles mondiaux ont monté en flèche durant la campagne électorale américaine.
Dix jours avant le vote, l’affaire du Pizzagate démarre par le Tweet réalisé d’un avocat new-yorkais qui prétendait qu’Hillary Clinton serait liée indirectement à un réseau pédophile nommé « Lolita Express ».
Dans les jours suivants, un internaute souligne qu’un proche collaborateur de Mme Clinton, John Podesta, aurait écrit des messages à James Alefantis, gérant de la pizzeria Comet Ping Pong, pour une levée de fonds en faveur de Mme Clinton.

Les conspirationnistes se sont alors mis à analyser scrupuleusement les messages codés échangés par John Podesta et Mme Clinton, et entre les deux frères Podesta, par le biais de courriels privés ébruités par WikiLeaks. Ils en ont conclu que les termes « fromages », « nouilles », « domino » et « hotdogs » devaient nécessairement référer à de la prostitution juvénile et qu’Hillary Clinton approuvait ces choses.
Ces allégations sur Mme Clinton n’ont jamais été corroborées, loin de là. Puis quand bien même John Podesta aurait quelque chose à cacher, il n’a jamais été accusé de quoi que ce soit au niveau judiciaire. Nous sommes donc dans le domaine du 100% hypothétique, des amalgames et des culpabilités par association.
Plus ridicule (et inquiétant) encore, un homme armé a déjà fait irruption dans la pizzeria familiale Comet Ping Pong, car les complotistes s’étaient persuadés que le sous-sol du restaurant recelaient des tonnes d’enfants exploités sexuellement. Un des indices étant que les deux raquettes de ping-pong illustrant le menu serait un code international pour « pédophilie ».

Le forcené a donc exigé qu’on lui montre la fameuse cave et s’est mis à tirer dans un placard : le restaurant n’avait aucun sous-sol…

Les croyants.es du #Pizzagate n’ont toutefois pas été impressionnés par la démonstration. Ils soutiennent que le forcené en question n’était qu’un acteur payé pour clore l’histoire (tentative de cover-up)…
Le spécial Stu Pitt
Ces théories conspirationnistes sont donc fort populaires par les temps qui courent, via le mouvement Qanon, qui se fait voir et entendre chez les supporters de Trump.
Les deux invités de Stu Pitt se targueront d’être les deux seuls au Québec à mettre ces théories sur la place publique, via les tribunes de RadioX et de Stu Pitt. Selon le « spécialiste complotiste » Ken Pereira, l’élite d’Hollywood serait une sorte d’organe de propagande d’une élite mondiale cherchant à corrompre nos mœurs.
M. Pereira (qui s’est fait connaître à la Commission Charbonneau) mentionne par exemple un certain sorcier, Anton LaVey, proche de Marylin Monroe, ayant performé à Hollywood pour le compte de l’Église de Satan. Puis il ajoute l’exemple de Marina Abramović – une artiste avant-gardiste en art corporel – qui ferait des rituels simulant le cannibalisme (Spirit Cooking). Quel rapport avec un réseau pédophile? Aucun.
D’après Ken Pereira: « L’agenda d’Hollywood est de détruire la famille, de détruire la religion ». Ces déclarations à l’emporte-pièce ravissent les commentateurs.trices de Stu Pitt :
Hollywood procéderait ainsi à un « mainstreaming » de modes de vie pédophiles, pour « pervertir la jeunesse », tout cela avec la complicité du « Deep State » : « Le Deep State vend l’impunité ».
Si Trump a déjà promis d’« assécher le marais » de Washington, en combattant la corruption et les différents establishments du pouvoir, on conçoit désormais cette lutte comme une opposition à la décadence morale et au Deep State des hommes de l’ombre.
Conclusion
En dernière analyse, il saute aux yeux que tous ces échafaudages conspirationnistes n’ont pour but que de diaboliser le progressisme en général, supposément coupable de pervertir les mœurs (le féminisme, les luttes d’émancipation pour l’égalité, etc., car les valeurs modernes entreraient en contradiction avec les bonnes vieilles traditions morales).
Hillary Clinton peut certes être critiquée, même à gauche, mais l’associer au satanisme, au cannibalisme et à n’importe quoi n’a plus aucun contact avec le réel. En outre, elle a perdu ses élections il y a 2 ans, les pro-Trump pourraient peut-être enfin changer de disque, d’autant plus que le milliardaire Trump est issu de cette même élite américaine qu’on prétend supposément combattre…