Pour des élections non-discriminatoires : entretien avec Éric Émond

Cette semaine, un collectif a fait publier une lettre ouverte dans Le Devoir pour s’insurger contre le fait qu’on permettra désormais que des citoyens.nes puissent se porter candidats même s’ils portent des couvre-chefs pour des raisons religieuses (hidjabs, turbans, kippas, etc.).

D’après le collectif, on « mine le long cheminement vers la laïcité de l’État », rien de moins. La laïcité doit-elle être synonyme de discrimination envers celles et ceux dont l’appartenance religieuse est plus visible que d’autres?

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Pour répondre au collectif, j’ai pensé y aller sous forme de dialogue avec Éric Émond – chef du parti CINQ – qui fut l’un des premiers instigateurs de la démarche visant à permettre à toutes et à tous de participer aux élections provinciales.

 

XC : Bonjour M. Émond, depuis 1989, pour plusieurs, il n’est plus possible au Québec de se présenter aux élections provinciales, en raison d’un règlement stipulant que l’on doit fournir une photographie obligatoire à « tête découverte ». Comment s’est enclenché le processus de contestation de cette règle?

Émond : C’est parti d’un meeting, fin 2017, auquel participaient tous les « partis émergents » de la scène provinciale. Le chef du Parti vert, Alex Tyrrell, avait demandé au président si le règlement était toujours en vigueur, car l’une de ses candidates (Fatimata Sow) avait dû renoncer à se présenter en 2014, à cause de la photo.

J’ai alors posé 4-5 questions au président Pierre Reid, car j’estimais que ça contrevenait à la Charte des droits et libertés. En plus ça pourrait discriminer autant les personnes qui se couvrent la tête pour des raisons religieuses que médicales.

 

XC : Pourquoi une personne voilée (avec un simple hidjab) ne pourrait pas se porter candidate? C’est partout comme ça?

Émond : Absolument pas, le pire c’est que même au Québec, quand il y a les élections municipales ou fédérales, il n’y a pas cette clause-là.

 

XC : Il me semble que l’aspect discriminatoire est évident. Par exemple un gars comme Jagmeet Singh ne pourrait pas se présenter, lui qui est rendu chef du NPD, ainsi que cinq députés fédéraux, dont le ministre de la Défense.

Émond : Imaginez si une candidate merveilleuse comme Malala Yousafzai – prix Nobel de la paix – était bloquée juste à cause d’un signe religieux. Et surtout c’est contre la Charte des droits et libertés.

 

XC : Comment ont réagi les grands partis politiques, ont-ils participé activement au processus?

Émond : C’est d’abord Alex Tyrrell et moi qui avons démarré les démarches, en contactant Ève Torres de Québec solidaire (et impliquée dans l’organisme LaVOIEdesfemmes). Elle a ensuite fait un travail formidable pour faire avancer le dossier auprès de la Commission des institutions et du DGEQ.

 

XC : On entend Jean-François Lisée affirmer que ce sera aux électeurs de décider. Mais on ajoute aussitôt que « le Parti québécois ne croit toutefois pas qu’il aura de tels candidats dans ses rangs étant donné l’existence d’une politique interne qui commande la réserve sur le port de signes religieux » (Le Devoir, 13 mars).

Émond : On ne peut pas attendre grand-chose de Lisée qui a surpassé Alexandre Cloutier (dans la course à la chefferie) en jouant la carte de la peur des musulmans. Il était 15 points derrière Cloutier et, en misant là-dessus, a terminé plus de 15 points devant…

 

XC : Maintenant que le règlement a été adopté à l’unanimité de tous les partis et entrera en vigueur le 22 mars, un collectif crie au non-respect de la laïcité. Les signataires y voient une reddition devant les intégristes :

z3 intégristes

Émond : Totalement absurde! C’est Alex Tyrrell et moi qui avons parti ce bal-là. On cède devant les intégristes? AUCUN groupe religieux n’est intervenu. On défend la Charte des droits et libertés pour tout le monde et ça inclut Mme Benhabib et les autres.

 

XC : En lisant sur les revendications de ce « Rassemblement pour la laïcité », on remarque qu’il prône l’interdiction des signes religieux dans toute la fonction publique et même pour les enfants sur les bancs d’école :

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Émond : Ils propagent l’intolérance et l’incompréhension de l’autre. On doit vivre avec autrui, en connaissant son voisin. Pour faire avancer l’acceptation, il faut fréquenter des écoles multiculturelles (quand c’est possible), ça ouvre l’esprit et ça fait disparaître les peurs infondées (terrorisme, gangs de rue, etc.).

 

XC : Aviez-vous rencontré d’autres opposants.es durant le processus?

Émond : Pas du tout. Ce sont eux seulement, ils sont venus en retard et j’en reviens pas que Le Devoir les ait publiés.

 

Pour la liste des signataires de la fameuse lettre ouverte:
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Jaggi Singh, ce monstre qui lance des toutous en peluche

Depuis dimanche dernier, on ne cesse de diaboliser Jaggi Singh en le rendant responsable de tous les débordements ayant pu avoir cours en marge des manifestations.

Il y a maintenant 20 ans qu’il est mondialement reconnu pour son activisme, ses luttes acharnées pour un monde meilleur, plus équitable, par-delà les frontières. Mégaphone à la main, essayant symboliquement de repousser ces frontières provisoires érigées par les forces policières, il se voit parfois arrêté lors des manifs, sans qu’il n’y ait nécessairement de charges retenues contre lui.

En fait, sa plus longue détention survint à Québec, en 2001, lorsqu’il passa 17 jours en prison dans la foulée du Sommet des Amériques. On l’accusa de port d’armes illégal, car il avait utilisé une catapulte-jouet capable de projeter des oursons en peluche!

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Le 1er juillet dernier, la Storm Alliance et quelques membres de La Meute s’étaient attroupés à Hemmingford, pour protester contre l’entrée irrégulière de migrants (donc bien avant que ça ne devienne un enjeu national).

Jaggi Singh et plusieurs autres contre-manifestants s’y étaient rendus. Il a chanté, dansé, sous le regard exaspéré des xénophobes. Tout s’est déroulé de manière pacifique.

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Des membres de La Meute le fustigeait sur Facebook

Le dimanche 20 août, M. Singh est encore une fois allé à la rencontre des groupes anti-immigration, armé de son légendaire mégaphone. Questionné par les médias, il a soutenu qu’il ne fallait pas fuir le racisme, mais l’affronter.

LCN et RDI n’ont cessé de répéter qu’il était « porte-parole » des contre-manifestants, même si Jaggi Singh leur a précisé à au moins trois reprises que ce n’était pas le cas. C’est pourtant bien simple: selon les principes de base de l’anarchisme, il n’y a pas de leaders, pas de chefs, tout ce que Jaggi fera sera fait en son propre nom.

Mais les médias n’ont pas pigé: ils ont continué à le considérer porte-parole et responsable de tout ce que les antifas ont pu faire durant la manif.

Durant ce temps, la vérité est que Jaggi Singh chantait, dansait, faisait de la capoeira avec un jeune enfant, et, surtout, parlait dans son mégaphone ou répondait aux médias.

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On connaît la suite, la manif fut déclaré illégale et Jaggi Singh fut arrêté de manière musclée par les policiers, pour ne pas avoir respecter leur ligne. Aucune accusation ne sera retenue contre lui.

C’en est trop pour Régis Labeaume, qui le traitera de « crétin » en ondes, en ajoutant: « La Meute, la gang à Singh, allez-vous faire voir ailleurs ». Quelle gang à Singh? Il manifestait seul, hormis un ami jouant le rôle de « garde du corps » en raison des 1001 menaces que font planer sur lui des extrémistes de droite.

Une pétition citoyenne lancée par ses détracteurs réclame d’ailleurs qu’il soit mis en arrestation… Elle avait été critiquée par Anarchopanda sur sa page Facebook, mais son statut fut prestement retiré par des censeurs. Anarchopanda faisait remarquer que les commentaires sous la pétition sont tout à fait disproportionnés.

Plusieurs l’associent au terrorisme et réclament – avec des relents de racisme – son expulsion du Canada (lui qui est né à Toronto et vit à Montréal):

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Bref, rien de tel que des propos haineux et violents pour dénoncer une violence qu’il n’a pas commise…