Mercredi dernier, le militant-chroniqueur Mathieu Bock-Côté m’a contre-attaqué sur sa page Facebook, déchaînant un déluge de commentaires acerbes à mon endroit.
Certains vont jusqu’à souhaiter que je me fasse agresser physiquement :
D’autres fans de MBC ont soutenu que je ne serais guère à la hauteur du grand Renaud Camus, célèbre idéologue de l’extrême-droite française ayant mis de l’avant la thèse conspirationniste du « Grand remplacement » (l’immigration n’aurait d’autre but que de remplacer les « de souche » de chaque pays occidental) :
Qu’ai-je donc fait de si grave? Dans un statut FB publié quelques heures plus tôt, je critiquais un billet de MBC intitulé « Réflexions sur la censure ». J’y soulevais l’aspect ironique « laissant entendre » que les intervenants.es antiracistes (tels Webster et Will Prosper) ne méritaient pas de tribunes dans les grands médias tandis que MBC leur reproche d’être pro-censure.
Bock-Côté a beau se tortiller en jurant que je l’ai mal cité, le fond de sa pensée demeure le même : son article avait pour but de discréditer Webster et Will Prosper – ainsi que les autres partisans de l’antiracisme en général – en souhaitant que les différentes tribunes leur soient moins accessibles.
Cette pensée se retrouve dans de nombreux écrits qu’il a publiés ces jours-ci, dont un du 6 juillet, soutenant que les militants.es antiracistes ne devraient être « intégrés à la conversation publique » :
Dans ce billet, je répondrai donc au brillant docteur sociologue en explicitant davantage sa pensée réactionnaire : selon lui, les vrais racistes d’aujourd’hui seraient rien de moins que les antiracistes, qui devraient être traités par les médias avec autant de distance qu’on le fait avec l’extrême-droite haineuse. Extrait du 5 juillet :
Le racisme inversé
Pour commencer, MBC s’est épris d’une expression peu commune qu’il cherche à populariser : celle d’ « extrême-gauche racialiste ». Que veut-il dire par là? Une de ses chroniques récentes en donne une définition :
Autrement dit, par pudeur, il emploie ici l’expression « racialiste » en tant qu’euphémisme pour « racisme antiblanc ». Il accuse la gauche – qui aimerait mettre un terme aux discriminations raciales en prônant l’égalité – d’entretenir le vrai racisme, car elle aurait besoin des catégories racialistes afin de pouvoir dévoiler que certaines personnes se trouvent discriminées sur la base de leur apparence physique.
L’argument de Bock-Côté est remarquablement farfelu. Par exemple, à la fin janvier, lorsqu’une étude démontrait que les minorités culturelles étaient sous-représentées dans la fonction publique québécoise, ce dernier cria au racisme antiblanc :
Même chose six mois plus tard, dans le contexte du spectacle SLĀV : MBC profite de la polémique pour remettre sa diabolisation de la gauche antiraciste à l’ordre du jour.
Dans un billet du 7 juillet, il espérait également qu’on puisse fermer la porte à ces militants.es semant la pagaille dans le débat public :
Pourquoi accorder à « certains offusqués professionnels une position politique légitime, qu’on doit discuter comme si elle était respectable? Comment pouvons-nous normaliser dans le débat public le discours de militants pour qui la race doit redevenir une catégorie politique pertinente et qui, avant de parler de quelqu’un, précisent la couleur de sa peau ? Comment l’extrême gauche racialiste et identitaire est-elle devenue une figure essentielle du débat public ? Soyons sérieux : s’il y a une tentation raciste au Québec, c’est de là qu’elle vient ».
Sa dernière affirmation est terrible. MBC, à la manière d’un magicien, croit qu’en faisant taire les antiracistes, nous ferons disparaître les problèmes de discrimination.
Autre passage du 7 juillet:

On le voit à travers ses différents textes, la gauche serait responsable d’à peu près tous les maux. Il déplore des médias trop progressistes à son goût, d’où leur soi-disant parti pris pour les méchants activistes antiracistes :
La collaboration des médias de gauche
Quand le fin sociologue se plaint que les Webster et Prosper de ce monde recevraient des traitements de faveur de la part des médias, c’est qu’il regrette que la droite dure ne bénéficie pas de la même sympathie. Voici par exemple ce qu’il défendit dans Le Figaro :
Pour faire un parallèle avec le contexte de SLĀV, c’est ce double standard qu’il dénonce : la gauche antiraciste peut être accueillie à bras ouverts par les médias, mais l’inverse est plus gênant… mais qu’est-ce que l’inverse? Les identitaires anti-immigration? MBC reste vague en évoquant un conservatisme incapable de s’assumer pleinement en raison du « logiciel diversitaire » :
Par conséquent, Bock-Côté hallucine un monde où des antiracistes radicaux envahiraient toutes les tribunes, mais il peine à en donner un seul exemple (5 juillet) :
Il en conclut que nous subissons une tyrannie de la minorité, celle des « minorités braillardes » :
Pendant que MBC pleure la mainmise médiatique de ces soi-disant minorités, il se trouve à l’avant-plan d’une imposante clique de chroniqueurs conservateurs, véhiculant librement leurs idées dans le plus grand média écrit de la province, soit le Journal de Montréal/de Québec. En voilà un échantillon :
À la virgule près, ces différents.es influenceurs.ses défendent les mêmes opinions droitistes que MBC. En quoi les pseudo « multiculturalistes » et « antiracistes racialistes » auraient-ils pris le contrôle du débat public?
Notre chroniqueur-vedette semble voir le monde à l’envers :

Diabolisation de Webster et Will Prosper
Très rarement observe-t-on Bock-Côté nommer ces intervenants trop extrémistes à ses yeux qui auraient supposément impunément accès à toutes les tribunes.
Dans ses Réflexions sur la censure, il s’en prendra à deux militants antiracistes du nom de Webster et Will Prosper (s’inspirant d’un article de Steve E. Fortin, qui lui-même diabolisait gratuitement Maïtée Labrecque-Saganash au passage).
Sur Webster, MBC n’a presque rien à redire. Sans apporter un seul début de preuve, il le cloue au pilori :
Le rappeur Webster (de son vrai nom Ali Ndiaye) est pourtant un interlocuteur fort articulé, mesuré et crédible, étant d’ailleurs diplômé en histoire. Bock-Côté le rabaisse en une phrase, décrétant que ses points de vue ne sont que des « lubies idéologiques ».
Quant à Will Prosper, militant et documentariste bien connu (ex-candidat de Québec solidaire, il a participé à l’aventure de Faut qu’on se parle, etc.), fort réfléchi lui aussi, il sera accusé de « tribalisme racial » par MBC…
Pour tenter de le disqualifier totalement du « débat public », l’habile chroniqueur lui reprochera le méfait d’un seul « like » sur Facebook, à propos de Maka Kotto.
Avez-vous déjà entendu parler d’un seul intervenant ayant été barré des médias pour un seul « like » sur FB? Et on ne parle pas d’un appel à la violence, la conversation tournait autour du Tweet hautement polémique du député Maka Kotto, qui taxait l’opposition à SLĀV de « terrorisme intellectuel » et « mécanique totalitaire à dénoncer ». Ce qui en a révolté plus d’un…
Dans la foulée de son exaspération, M. Prosper a ainsi « liké » un commentaire controversé qui qualifiait M. Kotto de « n*gre de service ». Cette expression signifie grosso modo « larbin », et l’on peut reconnaître qu’une personne racisée puisse employer ce vocable sur son mur sans se faire barrer de la place publique (à moins de vivre en dictature).
Je citerai au hasard, entre mille, ce blogueur, étudiant en anthropologie d’origine mauritanienne qui a disserté sur la notion « n*gre de service » comme s’il s’agissait de n’importe quelle notion appartenant aux sciences sociales :
« Attention sachons séparer le bon grain de l’ivraie… N’est pas n*gre de service celui qui sert la nation mais celui qui dessert sa communauté (…). Nous avons à déconstruire ici les garde-fous des monstres du système qui tuent tout mouvement et toute prise de conscience de notre peuple (…). Ainsi nomme-t-on ces enfants de la honte : « N*gre de service ».
Bref, M. Prosper n’a fait qu’un « like » sur un commentaire à propos de M. Kotto, ce qui revient à peu près à un acquiescement de la tête.
Conclusion
Mathieu Bock-Côté essaie d’embrouiller son lectorat en lui faisant croire que la gauche et la « diversité » seraient la source des grands conflits de notre temps. Par définition, le progressisme est plutôt la quête d’égalité et sans les mouvements sociaux, les fossés ne feront que se creuser davantage.
Par exemple, depuis quand l’émancipation des femmes s’obtient-elle en étouffant le féminisme? Comment mettra-t-on fin aux discriminations si l’on bâillonne l’antiracisme? Le discours de MBC et ses semblables va toujours dans le même sens, même hors du contexte de la polémique entourant SLĀV.
Bock-Côté aspire à droitiser le débat public. Il y est parvenu en partie, et il ne sera jamais satisfait.