Selon des experts, il serait vain de chercher aujourd’hui des preuves de « racisme » classique chez bien des groupes d’extrême-droite contemporains, car ceux-ci seraient passés d’un «racisme biologique» à un « racisme culturel ».
C’est-à-dire qu’au lieu de défendre la pureté de la race biologique – p.ex. en plaidant la suprématie blanche ou la supériorité de la race aryenne – les dernières vagues extrémistes défendent plutôt que les cultures ne devraient pas se mélanger les unes avec les autres.

Autrement dit, ce racisme ne repose plus sur une soi-disant perfection génétique ou sur la couleur de peau, mais sur des bases nouvelles : un héritage culturel à préserver coûte que coûte.
Évidemment, aimer sa culture ou reconnaître des différences culturelles ne font pas de nous des « néoracistes ». Le vrai néoraciste se distingue par ses appels à la ségrégation raciale et à la fermeture des frontières, au motif qu’on éviterait la corruption de nos héritages culturels respectifs.
La Nouvelle Droite
Le virage idéologique aurait été facilité à partir de 1969, par l’avènement d’un courant de pensée nommé « la Nouvelle Droite ». Des idéologues réactionnaires travaillaient ensemble au sein d’un groupe de recherche, le GRECE, dont le chef de file était Alain de Benoist.
Pour le sociologue Alain Touraine, ce courant ne propose rien d’autre que du fascisme sous une nouvelle mouture : « La Nouvelle droite est bien un fascisme… Elle porte en elle une logique de répression sociale qui est mortellement dangereuse pour les libertés démocratiques » (1980).
Si l’on regarde du côté de la Fédération des Québécois de souche (FQS) – groupe d’intellectuels d’extrême-droite de Québec – on peut remarquer qu’elle adule bel et bien Alain de Benoist, au point même de l’avoir interrogé lors d’une « entrevue exclusive » :
Une autre figure connue de la Nouvelle Droite fut Dominique Venner, un essayiste français décédé en 2013. Ce dernier est aussi prisé par la FQS, puis par son protégé, le groupe de boneheads néofasciste Atalante Québec.
Atalante voue un véritable culte à Venner :
Atalante Québec imite en fait l’exemple de groupes identitaires radicaux européens, comme le GUD (Groupe union défense), la Ligue du Midi ou Casapound. Remarquez d’ailleurs la ressemblance stylistique entre les bannières d’Atalante et celles de Casapound :
Bref, la Nouvelle Droite offre un angle commode pour la perpétuation d’idéologies racistes et fascistes, mais en éludant la critique selon laquelle elle serait « raciste » au sens classique.
De l’antisémitisme à la haine du pluriculturalisme
En Grande-Bretagne, les leaders racistes ont aussi senti le besoin de changer leurs discours, afin de rendre plus acceptable leur mépris d’autrui. Voir par exemple cet ancien chef du British National Party (1999-2014) et ex-député européen, Nick Griffin :
« Que cherchons-nous à faire en ce moment au BNP? Disons que nous essayons de simplifier notre message de façon à ce qu’il soit plus facile à vendre. C’est pourquoi nous ne parlons pas de suprématie blanche, ni de guerre civile raciale (…), nous ne sommes pas partisans d’une suprématie blanche, mais de la survie de la race blanche » (La toile brune, p. 166).

Il est intéressant de voir Nick Griffin passer d’un idéal de domination blanche à une rhétorique de survivance de la race blanche. Ce faisant il est toutefois du côté du racisme classique, ce qu’évite par exemple la « Fédération des Québécois de souche », en se posant en groupe de défense de l’identité des « de souche », menacée par le multiculturalisme.
Nick Griffin essaie d’adopter ce discours de tendance néoraciste. D’après lui:
Le BNP a pu « s’être libéré des entraves des théories du complot et de l’antisémitisme légèrement voilé qui figèrent le parti pendant près de deux décennies ». Il faut s’attaquer « aux véritables ennemis du peuple britannique : les libéraux anglo-saxons celtiques de gauche (…) qui cherchent à détruire la famille et à imposer le multiculturalisme à une population de souche qui n’en veut pas » (TB, p.168).
Le programme du BNP s’oppose ainsi au mariage homosexuel, au multiculturalisme et préconise une politique de « remigration », c’est-à-dire le retour d’immigrés.es vers leur pays d’origine (en ce sens, Atalante Québec a déjà posé des bannières « remigration » près du Stade olympique, où des demandeurs d’asile d’origine haïtienne étaient accueillis).
Enfin, j’aimerais souligner que cet appel néoraciste aux ségrégations « culturelles » prend souvent la forme d’une critique du « multiculturalisme », même dans des pays où il y a peu de diversité et une langue commune forte, tels les pays scandinaves.
En Norvège, par exemple, là où le terroriste raciste Anders Behring Breivik fit 77 morts et 151 blessés en 2011, on peut compter plusieurs organisations et plateformes décriant le multiculturalisme. Le principal maître à penser de Breivik fut un certain Fjordman, tout particulièrement paranoïaque sur cette question.

D’après Fjordman, les « marxistes culturels » cherchent à remplacer l’Occident par un Califat islamique : « la rectitude politique, c’est le marxisme avec un nez refait ». Tandis que le multiculturalisme, c’est « une idéologie haineuse et anti-occidentale conçue pour démanteler la civilisation occidentale » (TB, p.182).
En s’attaquant à un camp d’été pour sociaux-démocrates, Breivik avait massacré de sang-froid des dizaines de jeunes qu’il craignait voir devenir ces marxistes et pro-multiculturalistes de demain. Son « manifeste » cite abondamment les textes de Fjordman.
En conclusion, il convient de se méfier des discours normalisant le racisme sous couvert d’une saine critique du multiculturalisme. À force de répéter ad nauseam que le multiculturalisme et l’islamisme seraient les plus grandes menaces immédiates guettant les Québécois.es, on se trouve à transmettre une idéologie qui ne serait pas pour déplaire à la Nouvelle Droite…